Murmuration tardive : en campagne
Ou comment je me suis fait hagar par un dimanche soir mais comment on va défoncer les fachos
J’avais pour ferme intention de vous écrire, pour la Murmuration de jeudi, à partir de mon carnet spécial “séjour de repos créatif” à Trapèze Asso : le rythme doux, l’écriture quotidienne, les tips potagers et adminitrativo-corpo et les falafels maison au four. Et puis zou, patatras, à peine le temps de rentrer que le RN défonce les élections et Macron dissout l’assemblée.
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J’ai été sidérée le lundi presque entier. L’extrême-droite me fait peur, premier degré. J’ai peur pour mes proches, ma fille, mes nièces, mes copaines ; j’ai peur pour mes étudiant·es ; et j’ai peur pour moi, en tant que meuf non-hétéro ouvertement féministe ; j’ai peur de ne pas pouvoir poursuivre mes recherches, de censurer mon enseignement. Ça reste des peurs bien gérables par rapport à celleux dont c’est la vie qui est menacée.
Alors, j’ai oeuvré à fond dans mon potager, fait bouillir de l’aubier de tilleul (je vous raconte IanE et ses conseils dans la prochaine Murmuration, c’est promis promis), pris du magnésium et me suis mise en ordre de bataille.
Celleux qui me suivent sur les Instagram voient mes story que j’essaie de concevoir comme une caisse à outils pour les adelphes en lutte et/ou comme une caisse de résonnance de celleux qui expliquent, démontrent, indiquent.
On est nombreuxes à s’être mobilisé·es, mis·es en contact dans des groupes de discussion what’s app, signal, telegram ; j’ai senti dans ces centaines de messages échangés très rapidement l’électricité de la panique autant que l’adrenaline de la mise en branle. Parmis ces échanges impossibles à suivre, je suis tombée sur l’annonce d’une réunion de l’ancienne Nupes de mon petit bout de plage normande. Il s’agissait d’une réunion citoyenne qui visait à nommer les candidat·es de la circonscription aux législatives, définir les lignes du programme local, constituer une équipe de campagne.
J’ai été surprise et heureuse de trouver une salle pleine, presque 80 personnes, beaucoup de personnes issues des milieux associatifs, de syndicats et de partis politiques de gauche (majoritairement vert, socialiste et dissidents, un peu lfi). C’était ma toute première réunion de cette espèce, une réunion citoyenne qui ne réunissait pas des gens déjà organisés en collectifs radicaux ou étudiant·es, une réunion partisane somme toute.
Sans surprise, j’y ai retrouvé les travers des assemblées générales radicales avec des nuances sur les tours de parole plus approximatifs, les alternances femmes/hommes dans les prises de parole difficiles 1. à tenir 2. à faire accepter. Sinon : les hommes répètent ce que celui d’avant a dit, monopolisent longtemps la parole en entrant dans des détails inutiles… Bon, qui a assisté à n’importe quelle réunion dans n’importe quelle configuration connaît ce mécanisme : au boulot, au repas de Noël, en collectif radical de gôôôche... Je m’étonne toutefois de notre capacité à tolérer ces comportements, en râlant seulement dans nos moustaches.
Il a aussi été question des appareils politiques à la manoeuvre plus haut : dans cette union de la gauche, qui allait obtenir quelle circonscription ? Est-ce que notre élection citoyenne n’allait pas être balayée par des logiques verticales de diplomatie inter-partis ?
Trois hommes se sont présentés en tant que titulaire - l’un d’eux, dans un geste à la fois digne et théâtral a retiré sa candidature pendant sa présentation, sentant finement que la dynamique ne lui était pas favorable, exprimant sa volonté de soutenir un autre candidat et d’être utile à une campagne efficace -, une femme s’est présentée en tant que suppléante, elle avait été candidate deux ans plus tôt, ne pouvait pas se permettre de se dégager aussi brusquement de ses obligations professionnelles et familiales pour mener cette campagne éclair. C’est vrai, qui le peut ? Qui peut poser une dispo, un congé sans solde, qui peut laisser les enfants en gestion, pour être candidat à plein temps, comme l’exige l’agenda macronien ?
O. m’a rejointe, on a été convaincu par un candidat : son vote de jeunesse pour Besancenot, son positionnement, sa manière de s’exprimer. On s’est présenté à la fin de la réunion en indiquant notre disponibilité : faisons passer notre circo à gauche.
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En fait, c’est un délire de faire campagne, ça prend un temps fou. La structuration surtout ! On est plein à être volontaires mais qui fait quoi ? Où ? (Cette circo est immense).
Je sors carrément de ma zone de confort à vrai dire, je m’organise avec des personnes que je ne connais pas du tout et selon des modalités pour lesquelles j’ai des réserves - on n’est pas vraiment en auto-gestion, vous imaginez bien. Ça me prend beaucoup d’énergie. J’en rêve la nuit.
Je vois bien ce que mes zones d’expertise apportent pourtant et combien c’est nécessaire que je sois là : les questions d’écriture, de communication, de médias et les analyses féministes dans ce territoire local, ancré, pas citadin, pas universitaire. C’est fucking important à la fois d’amener mes compétences mais sans imposer mes habitudes radicales (qui seraient verticales du coup). Je me sens utile dans cette campagne, il s’agit de choses sérieuses, j’y mets ma rigueur et mon cerveau. J’ai conscience aussi de le faire pour me dégager de mes peurs, pour me rassurer sur mon agentivité.
Je suis allée manifester très fort aujourd’hui, avec l’ado et le chéri et les copaines. On était des milliers dans ma ville moyenne. La foule me fait sourire, je m’y sens renforcée, j’y aime les regards et sourires échangés. Dans le cortège radical, j’ai crié, collé des autocollants, remonté mon foulard du Chiapas ; je me suis sentie moi, déployée et entourée des mien·nes, ça a été une respiration, un souffle joyeux.
Et demain, retour aux affaires. Conférence de presse, sociabilité.
Puissent nos luttes continuer d’être solidaires les unes des autres, puissent nos forces et nos joies continuer de circuler.
Love et doux sur vous depuis le dimanche d’après.
Merci pour ces mots ❤️