Séjour de repos créatif à Trapèze Asso
Il n'y a pas d'écriture magique, il n'y a que des personnes merveilleuses
Je vous écris de très loin de ce que je vais vous raconter, pas de gazouillis d’oiseaux ici mais un homme aux chaussures en cuir carré qui parle fort dans ses air-pods ; pas de cimes d’arbres à l’horizon mais des salles de réunion vitrées. Je choisis de ne pas évoquer le dimanche qui nous attend. “On se sait” comme m’écrit Nolwen.
Le temps a changé aussi depuis : l’urgence face au RN dans les urnes, face aux médias Bolloré en ordre de bataille pour le faire entrer à Matignon. Et je promets que les Murmurations reprendront les jeudis après la séquence législative intense qu’on vit.
Je vous ai raconté comment je traversais tout ça là :
Je replonge dans mes notes avec la nostalgie d’un paradis perdu : c’était il y a seulement trois semaines, un séjour de repos créatif à Trapèze Asso1. J’avais rencontré Nolwen et IanE dans le cadre d’une rencontre littéraire, à l’initiative de Nolwen, aux Moulins de Faugères, c’était en 2022 et nous avions tout de suite accroché. Iels m’avaient évoqué leur projet de résidences d’écriture pour les personnes moins inscrites dans les réseaux institutionnels. IanE a oeuvré avec brio pour me convaincre de m’y investir en tant que membre active et zou, me voilà à discuter avec Nolwen de mon besoin de temps pour écrire les pages de Tigre à envoyer avant les congés d’été.
C’est tombé à point nommé dans un printemps assez fatiguant. Hop, direction Saint-Jean d’Angely où j’ai été accueillie avec une chaleur enrobante et apaisante qui m’a tout de suite fait me dire que je reviendrai dans cet endroit aux écritures possibles.
Ma chambre sent le bois, un tableau y fait l’éloge de la lenteur comme une résistance. Et c’est ça que je viens chercher, la lenteur, où plutôt l’absence de sur-sollicitation, l’espace mental disponible pour l’écriture. Quand j’ouvre le velux, pas besoin de casque anti-bruit diffusant des sons de nature, la rivière coule juste en bas du jardin, les oiseaux piaillent pour de vrai. La maison est spacieuse, pleine de charme et de recoins, en travaux aussi ; je mesure les efforts fournis par IanE et Nolwen pour que ma chambre soit confortable : le bon oreiller, le bureau, la luminosité de la lampe de chevet. Le potager est un endroit de transmission, de discussion et de gourmandise (j’ai appris à faire des falafels maison au four à partir des alliacés du potager, je veux dire, le level quoi).
Dès le premier jour, j’arrive à planifier mon écriture, à aller courir dès le matin. IanE me parle très vite d’une adhésion à la Sofia, de création d’un numéro de Siret ce qui me permettrait d’être en règle quand j’adresse des factures (je ne l’étais donc pas ?!) et proposer des ateliers via le pass culture - je repense aux ateliers évoqués lors du salon du livre, le sexisme des représentations des corps dans la presse. C’est aussi là que l’aubier de tilleul apparaît pour mon foie encombré de paracétamol et de triptan. De quoi prendre soin de mon écriture comme de mon corps. Les soirs sont doux aussi, on discute deep et drôle, Nolwen et moi avons des profondeurs qui se répondent.
Deuxième jour, un peu rattrapée par les contingences de travail : mes nombreuses candidatures à des postes dans l’enseignement supérieur public me fatiguent dans ce qu’elles demandent de résilience, de temps, de stratégies de séduction. Les chances sont si maigres. Les refus me font douter, j’ai du mal à gérer le rejet. Que faut-il donc faire pour réussir à trouver un emploi stable, sain, enthousiasmant ? C’est navrant.
IanE initie un mouvement vers une soirée artistique à la maison des écritures de La Rochelle, un nouveau dispositif, “Tendre critique” : un·e commissaire discute avec un·e artiste d’un projet en cours. Je suis souvent, comme au théâtre, peu à l’aise dans ces évènements, un peu trop prolo malgré les 1000 ans d’étude. J’ai du mal à m’intéresser à ce qui se dit. Les projets des deux premières artistes m’ont particulièrement happée : Aglaë Miguel2 et son travail sur les cierges funéraires et la cire de deuil de tradition basque me renvoient vers la mantille déposée sur sa tête par ma belle-mère lors des obsèques de sa mère la semaine précédente ; les coupures de presse d’Alexia Atmouni3 me fascinent, ses fresques créés à partir de milliers de silhouettes découpées dans la presse font écho à ce que j’étudie et à comment je milite dans la rédaction du Caen Féministe Camp, fanzine du collectif éponyme. Le dernier artiste est plus en lien avec le minéral souterrain, il a cette phrase qui m’a interpellée, Mathias Mareschal évoquait ses randonnées de recherches de relief sous-terre, il a alors évoqué une montagne de granit sous ses pieds, l’argile l’entourant comme des nuages, une sorte de paysage invisible qui cherche à surgir pour être vu.
Hyper psychanalytique non ?
Le lendemain, c’est à Saintes que nous allons à une soirée cinéma organisée dans le cadre du mois des fiertés, la projection de l’adaptation d’Orlando de Virginia Woolf par Paul P. Préciado en présence de la consultante littéraire et actrice du film, Vanasay Khamphommala. C’est un Orlando d’aujourd’hui, composé par 27 acteurices trans qui parlent de leur parcours de transition tout en jouant des phrases de Woolf. La scène finale m’a profondément émue [attention, je vais spoiler, faites défiler jusqu’à après l’affiche si vous préférez la découvrir en salle]. Virginie Despentes, en juge de 2027, donne des passeports universels à chacun·e des Orlando, après que nombre d’entre elleux avaient expliqué combien l’absence de papiers alignés étaient aussi humiliante qu’handicapante. Les discussions qui ont suivi la projection étaient réjouissantes : on a parlé du pouvoir politique et émancipateur de la fiction, des dispositifs du film, montrés aux spectateurices comme autant d’envers du décor du genre traversé par les personnes trans.
Arrivée au dernier jour, je sens comment le rythme a commencé à s’inscrire, à se ritualiser : le réveil naturel, le petit-déj collectif, les pages manuscrites, la préparation de l’écriture, l’écriture, le repas, la sieste, la lecture, le dehors, l’apéro, le repas tard. Si je n’ai pas atteint les 100 000 signes que je m’étais mis en ligne de mire, j’ai fini un très gros chapitre, reprécisé des éléments dans les chapitres précédents, commencé à préparer les chapitres suivants. Je me pose beaucoup de questions sur le dispositif de la fiction censément intégré dans la collection dans laquelle je vais publier Tigre. Le rendre visible ce dispositif, comme pour montrer que le naturel est l’imagination vaine d’une structure invisibilisée ? En faire une enquête, puisque c’est ça, tirer les fils les uns après les autres, découvrir à chaque fois un aspect de la foisonnante action féministe de Tigre. J’ai imprimé des pages pour tenter d’y voir plus clair, de travailler le style, trouver un fil narratif transparent.
Trapeze Asso et le dispositif créé par IanE et Nolwen m’a permis ça, ouvrir mon espace d’écriture dans un endroit rassurant et chaleureux.
Je ne peux que vous conseiller de les soutenir et/ou de les contacter. A l’automne, c’est Bye Bye Binary qui vient en résidence et faire une expo, ça va être INCR
https://www.helloasso.com/associations/trapeze
https://aglaemiguel.com/Home
Ses “Rencontres fortuites dans un scanner” me régalent depuis : https://alexiaatmouni.fr/rencontres-fortuites
Premier sourire de la journée (et je ne pensais pas que ça arriverait, au vu des résultats d'élections). Merci pour ce récit qui rappelle qu'il y a des personnes-lieux de bienveillance et créativité et douceur.